Antoine Vincent, né le 4 octobre 1821 à Ribeyret, écrivit en 1866, le texte ci dessous pour présenter son livre de raison.
Un livre de raison est « un journal d’événements ou de comptes, tenu par un chef de famille ». Il est exceptionnel que de simples paysans en rédigent. Il s’agit d’une occupation typique de bourgeois ou de rentiers érudits du XIXe siècle, qui relatent des faits de leurs activités et de leur vie.
On sait peu de chose d’Antoine Vincent, paysan et muletier. De 1838 – il n’a alors que 17 ans – à 1889, date de sa mort, il a noté chaque année les principaux évènements locaux ou des faits divers intervenus dans la région. L’exploitation familiale semble être alors l’une des plus prospères de la commune et les chefs de famille sont de petits notables locaux, tout désigné pour assurer des fonctions électives. Conseiller municipal et adjoint au maire pendant une grande partie de sa vie, Antoine Vincent est bien placé pour rapporter des décisions municipales qui influent sur la vie quotidienne des habitants. Cette participation à la vie locale est une tradition familiale puisque son père, qui s’appelait aussi Antoine fut consul dans les années 1780, puis maire sous la Révolution et maire adjoint de 1804 à 1833.
En 1854 Antoine Vincent semble porter un intérêt plus marqué aux questions agricoles. Peut-être est-il devenu à cette date le chef de l’exploitation. Il écrit : « j’ai commencé à noter les températures de chaque année, les prix des produits et des denrées les plus considérables ainsi que les principaux événements qui se sont accomplis ». De ce fait, et en dépit du caractère un peu répétitif que ce parti pris impose au texte, il fournit des informations intéressantes sur l’histoire de l’agriculture locale et sur l’importance déterminante des aléas climatiques qui pèsent sur la vie matérielle de nos ancêtres paysans.
Il écrit d’après ses documents personnels, qu’il complète par des recherches en mairie :
« Il arrive bien souvent que les familles ont besoin de chercher l’origine de leurs devanciers, pour recueillir quelque héritage, ou pour quelque autre besoin. L’incurie et l’insouciance des gens de la campagne pour conserver leurs anciens papiers causent souvent des recherches coûteuses et souvent infructueuses. Je connais bien des gens de nos pays qui, si on leur demande d’où vient leur surnom, leur nom, d’où sont sortis leurs aïeux ou bisaïeux, ne savent que répondre. Pourtant il n’est rien de plus beau à savoir et à connaître que l’origine et l’histoire de sa famille, surtout si aucun de ses membres n’a jamais quitté le «chemin de l’honneur». Toutes ces raisons m’ont déterminé à dresser la généalogie de mes ancêtres, non pas par orgueil mais pour être utile à ceux qui viendront après moi. Les papiers s‘usent et ceux qui les lisent aujourd’hui avec peine oublient que dans peu de temps ils deviendront illisibles par suite de leur détérioration.
Dans ce recueil je ferai connaître ce que la tradition m’a appris sur la famille et tous les renseignements que j’ai pu recueillir dans les papiers de la maison. J’espère qu’après moi celui dans les mains duquel tombera ce recueil, s’il est intéressé à la famille, le lira avec intérêt et pourra lui être utile et à bien d’autres descendants de ma famille Vincent dit Ricaud« .
Fait à Ribeyret dans la maison du col de Paluel l’année 1866.
Origine de ma famille
Depuis des temps immémoriaux une seule famille, appelée Richaud, habitait au col de Paluel. À une période que l’on peut estimer être vers le milieu du XVIe siècle, elle se partagea en deux branches. L’une resta dans la maison paternelle du lieu dit La Capelette et continua de s’appeler Richaud. L’autre s’établit dans une maison voisine et fut dénommée Ricaud, pour la distinguer de la précédente. Cette ferme est le berceau de ma famille qui ensuite prit le nom de Vincent, puis de Thore. Mais la maison continua de s’appeler Ricaud, surnom qui s’est étendu à ceux qui y habitèrent. Ainsi, en parlant de notre grange, on disait : « La grange de Ricaud ». Ce fait a été transmis par la tradition familiale. Ces Ricaud occupèrent la ferme de 1550 à 1662, date à laquelle la famille porta le nom de Bernard Samuel, puis en 1687 de Mathieu Vincent, avant de devenir Thore au cours du siècle dernier. Bien sûr il y eut entre ces dates de nombreuses générations et branches qui s’installèrent dans les pays environnants.